Yveline Le Grand

LA PARENTHESE - AVOIR VINGT ANS EN 1914

Premier roman édité chez L'Harmattan

LA PARENTHÈSE - Avoir vingt ans en 1914, par Yveline Le Grand

Date de publication : 6 novembre 2020 Broché - format : 13,5 x 21,5 cm • 232 pages ISBN : 978-2-343-21260-9
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Un 1er roman !!! Un rêve de toujours, un peu fou. Une toute autre démarche que celle des écrits historiques, biographiques ou professionnels qui me sont habituels.

Un véritable challenge : celui d’inventer une histoire cohérente et intéressante; celui d’inventer des personnages, de leur donner une épaisseur, de les faire vivre et ressentir; celui de faire partager au lecteur leurs émotions.

Un challenge, et finalement un tel plaisir et un tel engagement intellectuel que ce premier roman ne sera pas le dernier…

But ultime, grosse cerise sur le gâteau : se faire éditer. Et les éditions L’Harmattan ont accepté mon manuscrit !! 

Ce premier roman “La Parenthèse – Avoir 20 ans en 1914” est paru le 6 novembre 2020 chez L’Harmattan, en format papier ou numérique.

De quoi ça parle ? D’un sujet qui me tenait à coeur et sur lequel j’avais encore beaucoup de choses à dire, après un site web, une expo en 2014 et un livre-mémorial en 2015.

Yveline Le Grand

Le mot de l’éditeur

” Août 1914. P’tit Louis Glazec ne s’attend pas à la réalité qu’il va traverser. Lui, tout ce qu’il veut, c’est prouver à son père qu’il est un homme, un vrai. Pourtant, comme les autres, il recule avec l’armée française.

À partir de là, nous entrons avec ce personnage attachant dans son quotidien de poilu, ses doutes, ses blessures visibles et invisibles, mais aussi ses amitiés, fortes et résilientes. Nous vivons, avec P’tit Louis, ces longues années de guerre, avec des focus sur des aspects peu relatés du conflit.

Roman historique et roman d’action, La Parenthèse est avant tout un roman profondément humain, inspiré de faits réels, qui ne laisse pas indifférent.”

Paroles de lecteurs

Extraits

Pendant la Retraite (pages 3-4)

… Le son du clairon le sortit de ses pensées. Un arrêt, enfin ! La plupart des hommes s’affalèrent sur le bas-côté, certains ne prenant même pas la peine de se délester de leur sac.

P’tit Louis se glissa dans le fourré d’où émergeaient les jambes de son voisin de marche, alors que déjà résonnaient, alentour, les ronflements de la troupe. Malgré la fatigue, il ne parvenait pas à trouver le sommeil.

Un rayon de soleil filtrait à travers la fine dentelle des frondes de fougères et lui agaçait les yeux. Allongé sur le dos, P’tit Louis ferma un œil, puis l’autre, jouant avec les motifs aériens et la fine poussière qui dansait dans le rai de lumière. Loin au-dessus, un pic martelait les branches d’un grand chêne – tac tac tac, tac tac tac. 

P’tit Louis froissa délicatement l’éventail qui lui chatouillait le front, libérant une senteur d’écorce, de champignon et d’herbe fraîchement coupée. Le parfum rassurant du taillis dans lequel, enfant, il avait coutume de se cacher. Il étira un pied, puis l’autre, se laissant bercer par les légers ronflements de Léon Ollivier qui dormait à côté de lui. Ses paupières s’alourdissaient enfin.

Soudain, des voix s’interpellèrent. Étaient-ce les scieurs de long et avec eux son père et son frère Jean ? Son père le cherchait-il encore ? Il ne reconnaissait pas leurs voix pourtant.

P’tit Louis se pelotonna, serrant contre ses narines le brin de fougère froissé. On ne l’y reprendrait pas. La dernière fois, le père lui avait filé une telle raclée. Mais, pas cette fois.

— P’tit Louis, fainéant ! Sors de là ! On a besoin de toi au bois. Je te préviens fils, cette fois ça va chauffer. Et je ne veux pas savoir ce que tu fais là-dessous.

P’tit Louis n’avait pas bougé. Il avait même cessé de respirer de longues minutes dans l’espoir que le père le pense caché ailleurs.

— Ah ! tu ne veux pas sortir, poltron. Tu ne perds rien pour attendre.

Le père était aller chercher sa faux. P’tit Louis avait entendu le glissement régulier de la pierre qui affûtait la lame. Son sang s’était glacé.

— Tu vas venir nous aider, ça je te le garantis, à l’écorçage que je vais te mettre. Tu vas comprendre ta douleur. Sors de là. Et puis, tiens, je préfère encore un fils mort à un couard de rejeton.

Alors, P’tit Louis avait soigneusement emballé la broderie qu’il réalisait dans son torchon et l’avait cachée sous les feuilles mortes. Et, avant que son père ne commence à faucher les fougères, il s’était levé, blanc comme le fil de coton qu’il travaillait.

De la suite, il ne voulait penser qu’à la tendresse de sa grand-mère qui avait couvert ses plaies d’onguents apaisants et rafraîchissants en chantonnant doucement…

En Argonne (pages 60-61)

Une nouvelle journée de terrassement était en cours quand la mine qu’ils craignaient secoua la tranchée, tout près d’eux sur la droite. L’ennemi les avait bel et bien devancés ! La terre trembla et se souleva. Sous l’effet du souffle venant des profondeurs, la paroi qu’ils consolidaient s’effondra.

— Monnier ! hurla P’tit Louis.

Seules ses jambes dépassaient de l’amoncellement de terre et de sacs de sable. Au même instant, l’alerte sonna. L’ennemi tentait une sortie.

— Baïonnette au canon, tenez-vous prêts ! cria le sergent Le Braz.

Mais on ne pouvait pas laisser Monnier là-dessous tout de même ! Galvanisés, P’tit Louis creusait avec frénésie pendant qu’Ollivier dégageait les sacs de sable qui étouffaient leur copain. Le jeune Millot qui les aidait ce jour-là avait le Lebel à l’épaule prêt à faire feu au cas où l’ennemi déboulerait sur eux. Des tirs et des cris retentissaient à droite. On se battait.

— Plus vite, plus vite, P’tit Louis ! Il est vivant, criait Ollivier tirant sur les jambes de Monnier.

Une pelletée. Une autre. Une autre encore. P’tit Louis transpirait à grosses gouttes. Pourvu que les Boches ne viennent pas par ici. Il fallait sauver Monnier. Encore une pelletée. Un sac de sable. Un autre.

— Il bouge, cria Ollivier.

Encore une pelletée, un sac de sable, une autre pelletée, et c’est un Monnier complètement sonné, couvert de terre et de poussière, qu’ils purent extirper des décombres. Il respirait difficilement mais il respirait.

Ollivier attrapa sa flasque de gnole et pendant que P’tit Louis écartait doucement les lèvres de Monnier, il lui en fit couler quelques gouttes dans le gosier. À droite, les tirs s’étaient calmés.

Ces quelques gouttes de tord-boyaux suffirent à ranimer Monnier, qui appréciait cette boisson plus que de raison. Ollivier laissa éclater sa joie, exécutant une cabriole. Après avoir bu une lampée lui-même, il tendait sa flasque à P’tit Louis quand il aperçut le sergent Le Braz qui les regardait, les poings sur les hanches, l’air visiblement furieux.

— Que faisiez-vous par ici ? Vous ne teniez donc pas vos positions ?

— M’ont sauvé la vie, sergent, murmura Monnier.

— J’étais là, dit le jeune Millot. J’assurais le secteur.

— T’assurais le secteur ? Ah oui ? Et tu l’aurais tenu tout seul si les Boches étaient sortis en face de vous ?

Printemps 1916 (pages 93-94)

P’tit Louis ruminait encore une fois ses idées noires en arrivant au fort de Fromeréville au pied des hauteurs du Mort-Homme, quelques kilomètres à l’ouest de Verdun.

— Avec un nom comme ça comment voulez-vous qu’on en réchappe, avait dit un gars alors qu’ils étaient arrivés dans le secteur, tout juste un mois auparavant.

Pourtant depuis, ils cumulaient déjà dix jours de première ligne et c’était un exploit qu’ils soient encore vivants tant la bataille faisait rage autour de Verdun.

La compagnie de P’tit Louis pénétra dans l’enceinte du fort. C’était la deuxième fois qu’elle y cantonnait. Ils n’étaient pas nombreux ceux qui pouvaient y prendre leurs habitudes.

P’tit Louis entra le premier dans la casemate où logerait sa section. L’odeur le saisit aux narines. Une odeur de fauve mal lavé, de transpiration, de mauvaise haleine, de tabac froid, de types sales et pouilleux. Ils s’étaient pourtant réjouis de dormir sur des matelas et non comme trop souvent entassés par terre sur de la mauvaise paille humide. Ici, c’était le grand luxe, disait-on. Chacun sa paillasse.

P’tit Louis choisit celle du fond en haut. Il préférait dormir le nez collé au plafond humide, il s’y sentait plus en sécurité, il n’aimait pas sentir une présence au-dessus de lui quand il dormait, le gars pouvait tomber ou, pire, être malade. P’tit Louis étala sa fine couverture sur un matelas qui n’avait pas toujours eu cette couleur de crasse qu’on définirait quelque part entre gris et brun.

Le Guen, pas encore 20 ans, un bleuet de la classe 17 arrivé en renfort du dépôt, regarda d’un air dégoûté la paillasse située sous celle de P’tit Louis.

— Ce que ça schlingue ici. Et puis c’est sûrement truffé de vermines. Déjà que j’en ai plein la tête. On ne va pas dormir là-dedans tout de même !

— T’as qu’à ouvrir la fenêtre, répondit une voix blasée.

Le Bleuet jeta un coup d’œil circulaire et rougit. Il n’y avait pas de fenêtre dans cette salle voûtée, humide et peu profonde, dont on devinait l’épaisseur de la maçonnerie censée résister aux obus.

En ce début juillet, la porte, bien que largement ouverte, ne suffisait pas à permettre à la chaleur de pénétrer jusqu’au fond de la casemate, encore moins à évacuer les odeurs de la troupe que remplaçait le bataillon de P’tit Louis.

Le Bleuet enleva le matelas de sa paillasse et étala sa couverture directement sur le bois.

— T’en fais des manières, dit P’tit Louis. Moi l’odeur des vivants ça ne me fait rien. C’est celle des macchabées qui me dérange.

Il sortit pour se rendre à la popote. C’était l’heure. À peine servi, il s’installa au soleil, un peu à l’écart. Soupe au vermicelle, sardines en boîte, une tranche de pain dur et du pinard. Autant dire un festin.

Il regarda pensivement les sardines dont l’huile imbibait à peine son quignon de pain. Dire qu’elles venaient de Douarnenez, à quelques kilomètres de chez son père. Voilà plus d’un an que lui n’était pas retourné au pays.

P’tit Louis soupira et leva les yeux vers la colline. Sur les hauteurs, le canon roulait sans discontinuer. Rossignol était là-haut, sous le déluge de feu et de fer. Sa présence rassurante et enjouée lui manquait cruellement.

La voix du Bleuet le sortit brutalement de ses pensées.

— Les cousins nous attendent pour une belote. Tu t’amènes le Taiseux ?

Printemps 1918 (pages 144-146)

P’tit Louis s’allongea sur sa paillasse en souriant, scrutant avec attention le plafond de la creute que sa compagnie occupait depuis deux jours, une de ces multiples cavernes creusées pour extraire la roche calcaire.

C’était bientôt l’heure. P’tit Louis ne quittait pas les chauves-souris des yeux. À côté, le Bleuet parlait d’un quelconque épisode glorieux qui avait failli mal tourner. Qui pouvait bien l’écouter ? Marzin, lui, râlait contre les puces et les totos qui ne leur laissaient aucun répit.

P’tit Louis se gratta machinalement les côtes et se mit à chantonner pour ne plus entendre les voix de ses camarades. Quel besoin de faire ainsi du bruit, tout le temps. Allongé sur sa paillasse, il gardait les yeux fixés sur le plafond de la caverne.

À la lueur des lampes à acétylène, il distinguait à peine la grappe des chauves-souris, une tâche légèrement plus sombre, immobile sur la roche plongée dans l’obscurité. Pour rien au monde, il ne raterait le décollage. Il guettait le premier frémissement qui indiquait qu’elles étiraient leurs ailes pour s’envoler vers la sortie de la creute. C’était une bénédiction pour elles toute cette vermine qui pullulait sur les champs de bataille et cette eau qui croupissait abritant les larves des insectes qui les nourrissaient.

P’tit Louis sourit à pleines dents et s’étira lui aussi dans l’obscurité. Il avala une autre gorgée de gnole. La douce chaleur se répandit dans ses boyaux. Il soupira d’aise.

Un froufroutement soudain et la grappe se dispersa provoquant force jurons sur son passage. P’tit Louis partit d’un bel éclat de rire. La liberté !

— Qu’est-ce que t’as à te marrer, le Taiseux ? Tu trouves ça drôle, toi, de vivre enterrés comme des rats ?

— Marzin, laisse-le, rétorqua le Bleuet qui, une fois de plus, venait à sa rescousse. Ici au moins, on est à l’abri de la pluie, des obus et du gaz.

Le Bleuet cherchait toujours à désamorcer les situations et évitait à P’tit Louis, dont le comportement était souvent chaotique, bien des bagarres qui auraient pu le conduire au trou.

Marzin éleva le ton.

— Je ne suis pas du génie, moi. Je ne suis pas venu à la guerre pour donner des coups de pic et des coups de pioche pour transformer ces creutes en palaces et faire des banquettes pour que messieurs les officiers puissent poser leur croupion au sec, pendant qu’ils discutent de la meilleure façon de nous refroidir.

P’tit Louis applaudit des deux mains du fond de sa paillasse.

— Baissez d’un ton tous les deux ou il va vous arriver des bricoles. Vous préfériez les Éparges, les tremblements de terre, le souffle des mines, les gaz ? Vous avez oublié la cote 344 ? Les attaques au milieu des trous d’obus écœurants, remplis d’eau putride ? L’odeur des cadavres, partout, et celle de l’ypérite ? Vous ne vous rappelez plus comment on vomissait toute la journée dès qu’on avalait le moindre morceau de pain ?

— Ora Pro Nobis ! répondit P’tit Louis, joignant ses deux mains en geste de prière.

Marzin se leva brusquement. Sa baïonnette siffla à quelques centimètres du visage du Bleuet qui resta interloqué. Elle arracha un cri aigu dans le dos de P’tit Louis. Personne n’eut le temps de réagir, Marzin brandissait déjà sa prise, un énorme rat, qu’il accrocha sur une pique où en pendaient quatre autres.

— Et vive les creutes !